ANTONIO MIGNOZZI – L’HISTOIRE SUR LE MUR
La main glisse sur la surface usée du long mur. Elle effleure les irrégularités de la matière où la couleur a pris place pour tracer le récit, avec une certitude opiniâtre. Tout le long du parcours se dévoilent des histoires, racontées par le garçon devenu homme et, maintenant, peintre. Race damnée, engeance malheureuse contrainte par l’Art Tyrannique à tracer des lignes, à remplir le vide de matière et de couleur, à construire des images, à donner corps aux rêves et aux pensées secrètes, à rendre réel l’irréel, à conférer de la substance à ce qui n’est ni tangible, ni matériel : l’angoisse, la douleur, la joie, l’amour. Les sentiments, cachés, exprimés, innommables, désirés.
Antonio, le garçon calabrais qui dessinait par nécessité impérieuse, a pris les outils du peintre et a commencé à former des fresques sur le long mur qui entoure, sans jamais se refermer, l’enchevêtrement labyrinthique de notre ville, notre âme, notre histoire, nos souvenirs et notre mémoire. Il s’est approprié, véritable trésor, la connaissance de l’histoire de l’Art, et il nous la raconte, avec assurance et douceur, ferme et fort de son art. Il nous donne à lire l’immense fresque de notre temps. Il est profondément marqué par l’histoire de l’art, qui est indispensable à la poursuite de son œuvre. Sa technique est noble et ancienne, son trait se nourrit de ses maîtres, à commencer par Piero della Francesca, son style, sa poétique. Sa vision est parfois métaphysique : des icônes immobiles comme dans les places de De Chirico où la sensation de l’attente alimente le mystère du jour à venir, du coin caché derrière le mur, rumeurs ouatées, présages de l’aube, ombres fuyantes qui se dissolvent dans la lumière. Animaux fantastiques, poissons volants qui sillonnent le ciel de nos pensées et en suivent les traces qui forment dans l’air des signes étranges, symboles archaïques, souvenirs primaux ; et la musique, dans le silence, avance. Des paysages inconnus, en dehors du temps et de l’espace, architectures du rêve, archétypes du désir, où, après une âpre lutte, règne à nouveau la paix. Et encore le récit de l’amour, des visages de femmes courtisées au sourire immobile esquissent un clin d’œil, un regard engageant, se dérobent, s’offrent. Comme les femmes de Campigli, elles observent promettant les tourments de la passion ou le vent glacial de l’indifférence. Appuyées au balcon, elles se penchent et regardent la foule. En dessous, les géométries folles du labyrinthe urbain, trames ourdies pour brouiller les idées. Et pour retrouver son chemin, la grande paroi peinte qui ramène à l’ordre.
Architecte des idées et de la mémoire, Antonio Mignozzi dessine l’interminable barrière qui sépare le cours du temps de l’éternité. Il utilise le sable du désert, la terre transformée en sable par l’érosion des vents ; il place la matière primordiale au rang noble de la plus haute expression de l’Art. La terre parce que c’est l’élément le plus pur lié à l’homme et à son histoire. La terre parce qu’elle représente à la fois le point de départ et le cours de notre existence. La terre parce que c’est la couleur originelle. La terre parce qu’ elle nous comprend tous.
En quoi consiste donc le métier de peintre qu’Antonio a choisi avec fierté et humilité dès son plus jeune âge, et qu’il pratique encore en pleine maturité ? S’agit-il d’une simple description ? Non, c’est beaucoup plus : il raconte, il compose, il poétise, il soutient, il nourrit, il alimente l’âme, l’esprit, la connaissance, le cœur. Ce n’est pas facile à une époque folle, dominée par l’avoir et où l’être n’est plus qu’un corollaire de la survie, où la technologie remplace les idées et même les sentiments, où l’amour est souvent consommé en un clic, où la réalité se transfigure en une virtualité pure et déshumanisante. Il n’est pas facile de persévérer dans la peinture vraie, pure, entendue comme moyen de communication, comme transposition réelle de la pensée. Et ce n’est pas un art qui suit la mode et adapte son style aux dictats du jour, mais un art profond, fier de lui et de l’histoire qui l’ a généré.
Voilà le chemin, le parcours que Mignozzi poursuit. Courage, cohérence, sagesse, connaissance. Cet homme est né peintre, et il le restera toujours, adonné à l’art qu’il a nourri et dont il a été nourri. Malade de cet amour antique qui unit l’artiste à Calliope grâce au récit épique qu’ est le corpus poétique de son œuvre. Antonius pictor excellentissimus.
À toi la toile, à nous le plaisir d’écouter ton récit.
Stefano Cortina |