L’atelier de l’artiste : Dépositaire des songes
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La Barque de la nuit
La barque de la nuit et la barque du jour
2-XII-2004[1] |
L’atelier de Karel Zlin, Passage Ruelle, à Paris dans le 18e arrondissement, est riche en souvenirs, en trésors et en secrets. « C’est un peu comme le caveau de Toutânkhamon » dit-il, un espace trop étroit où sont accumulés oeuvres, maquettes, ébauches, objets trouvés. Placée en hauteur, contre l’un des murs, la maquette de La Barque solaire, précieuse esquisse en bois flotté de la sculpture monumentale en bronze du parc du château de Rambouillet, appelle le regard. Autour du chevalet, des toiles retournées, dont certaines, de très grand format, ont récemment quitté l’atelier pour la grande rétrospective organisée non loin de Prague, au Château Schwarzenberg (Hluboka) en mai 2010, ou pour des collections privées. Ainsi de l’hommage à De Chirico, exposé à Paris en 2009 à Paris, à la galerie Orenda, lors de l’exposition personnelle intitulée La Force du Destin. Les œuvres disposées en cercle, telles des strates verticales, constituent des traces archéologiques d’une mémoire à la fois personnelle et universelle. On y remarque des statuettes africaines. Statuettes fang du Gabon pour la plupart, dont la présence silencieuse semble protectrice, et dont on retrouve les traits hiératiques, réinterprétés, dans quelques-unes des œuvres les plus récentes de Zlin, exposées au printemps 2011 à Paris avec celles du peintre italien Lanfranco[2]. Interrogé sur son attirance pour l’art africain, le peintre rend hommage à la grande créativité des sculpteurs de ce continent. La statuaire africaine lui permet, dit-il, de se libérer du lourd héritage européen, du carcan des courants et des modes. En Europe, chaque siècle apporte son héritage et le poids d’idéologies successives qui n’ont pas manqué d’influencer les courants artistiques jusqu’à aujourd’hui. L’avant-garde du vingtième siècle avait puisé dans la plastique des arts dits alors primitifs une force libératrice qui leur permettait de dépasser les modèles classiques. Comme la plupart des grands artistes européens du vingtième siècle : Picasso, Brancusi, Derain, Vlaminck , Giacometti et, plus récemment, Arman, il aime à s’entourer d’objets non-Européens dont l’audace formelle l’accompagne dans sa création. À Drouot, il découvre, dans la multiplicité des œuvres qui sont données à voir, celles qui proviennent d’une autre culture et d’un autre continent. Selon lui, on remarque des affinités, on constate des ressemblances : les sculptures fang, par exemple, ressemblent aux têtes de Modigliani ; la sculpture romane est figée, en cela elle s’apparente à la sculpture égyptienne et à la sculpture africaine. Or, depuis la Renaissance, l’art européen est obsédé par le mouvement. Zlin trouve dans le hiératisme de certaines traditions artistiques une majesté qui véhicule le sentiment du sacré. Pour reprendre ses propres termes : « C’est l’immobilisme qui monumentalise les formes ». L’art européen, tout au long du vingtième siècle, s’est diversifié, renouvelé, au contact de ces arts lointains. Karel Zlin a acheté une statuette égyptienne en 1992, emblème de sa liberté créatrice. Cette fascination pour la statuaire égyptienne et fang est en parfaite adéquation avec sa prédilection pour les formes pures et son goût de la géométrie. On en retrouve des éléments dans ses compositions les plus récentes, note onirique qui contribue à sa méditation poétique, à sa recherche esthétique poursuivie avec constance depuis ses débuts pragois, son arrivée en France en 1976, héritier du mouvement informel tchèque, et jusqu’à aujourd’hui, à travers la peinture comme la sculpture. Il se place, comme poète et comme artiste, aux invisibles frontières du songe et du réel. Marie Mauzé et Joëlle Rostkowski [1] Karel Zlin. Vers l’Orient. Carnet de voyage. Alexandrie, Le Caire, Louxor , Abou Simbel, Le Dormeur du Val, 2005, p.37. [2] Galerie Orenda, du 11 mars au 16 avril 2011. |