JOSÉ ANTONIO SISTIAGA

José Antonio Sistiaga est peintre. Basque, il vit en Espagne (au pays basque). Il débute au cinéma avec un long métrage « Ere Erera Baleibu Icik Subua Aruaren » , entièrement peint a la main, ce qui représente dix sept mois de travail, douze heures par jour. Ce film muet mais si rythmé, si riche d’images et de correspondances qu’il en est presque « bruyant » était programmé à SIGMA 70, et faisait partie de « L’International Underground Film Festival » qui s’est tenu à Londres au mois de septembre dernier.

Inclassable, cette œuvre qui révolutionne le langage cinématographique se compose de longues séquences couleurs (et d’une partie noir et blanc) qui pourraient aussi bien être une analyse dynamique de l’art moderne, qu’une destruction a posteriori de celui-ci.

En fait on ne peut dégager du film aucune ligne didactique, symboliste où structuraliste. Sistiaga ne tente pas d’établir un système, il laisse apparaître la violence d’un art auquel il manquait une dimension pour s’expliquer: le mouvement.

« Ere Erera Baleibu Icik Subua Aruaren » est une démonstration qui nécessite de la part du spectateur la participation (parce qu’une attention totale) aussi bien que la réflexion.

L’interview de J.A. Sistiaga a été réalisée à Londres, lors du Festival du Film Underground.

- Est-ce que vous appartenez à un groupe d’artistes ?

- Oui le groupe GAUR de l’école basque, mais il n’a eu aucune relation avec le film. Ce n’est pas une coopérative, je suis totalement indépendant.

- Qui a produit le film ?

- Au début moi-même, si l’on peut dire, bien que peindre directement sur la pellicule ne représente pas un effort économique, mais d’imagination, de capacité d’expression, de recherche en soi-même. C’est la production X film de Madrid qui m’a apporté les moyens économiques nécessaires pour continuer mon travail. Entre-temps, j’ai obtenu le Prix du Cinéma Expérimental à la Xème Rencontre Internationale du Cinéma Documentaire de Bilbao en 1968, en présentant l’original de mon film, avec tous les risques que cela supposait…

- Quelle intention aviez-vous en faisant ce film?

- La première intention était la nécessité de me venger de tous, organisations et personnes qui empêchent la création ; me venger de leur manque de sensibilité, d’amour, de leur lâcheté et leur terreur envers ce qui n’est pas un produit de consommation ou de profit matériel et politique immédiat, de leur contrôle de l’économie. Je me retrouvais totalement opprimé, sans ressources économiques, désespéré après une longue lutte sur le terrain de l’enseignement où il s’était agi d’expliquer, avec la pratique, d’autres comportements pédagogiques, plus humains et créateurs.

En Mai 1968, j’abandonnais toutes mes activités et mes responsabilités directes envers les autres pour recommencer à faire des expériences en peinture, mais a travers le cinéma.

Au départ, mon film devait être composé d’une anecdote, une partie dynamique et une autre statique, avec des photos. Mon travail sur le film dans les huit premiers mois me porte a approfondir l’aspect dynamique de telle façon que je compris que le film avait changé de sens, il avait sa vie propre. Ainsi l’intégration des autres parties n’était plus nécessaire.

- Ne croyez –vous pas qu’il y a des moyens plus efficaces de lutter contre ce système d’oppression dont vous parlez?

- Naturellement, et chacun doit savoir avec quelles armes continuer ou commencer la lutte. Moi, en tant qu’artiste, c’est à travers ma propre prise de conscience, avec mes hypothèses et mes réponses dans le domaine de la création esthétique ; avec « mon droit au refus », avec mon droit a être éveillé devant tout ce qui arrive, non pas pour témoigner de l’événement, de ce qui est fait par les autres, mais pour donner la vie, non pour la recréer.

- Comment avez-vous abordé le cinéma?

- J’avais besoin de peindre dans une dimension différente… et puis le cinéma apporte le mouvement, il es dynamique dans sa diffusion, et il possède une audience majeure. En même temps il est mystérieux, je le trouve très proche du monde sensible, pour moi il est musique.

- Vous semblez vous situer un peu à part de la production habituelle du cinéma Underground?

- Ce qui m’intéresse, c’est la création artistique, l’aventure quotidienne dans mon travail, la recherche. J’ai abordé le cinéma par la peinture, après quelques années de Diffusion de Méthodes Actives d’Enseignement. Je ne veux pas entendre parler de bureaucratie, d’autorisations, je ne veux pas soumettre ma liberté de création à une censure, une église ou un parti politique (bien que je sois très conscient de leur présence). Comme artiste créateur je suis le plus semblable à un arbre, ce sont mes fruits que je donne aux autres, non pas mon tronc. Aujourd’hui, malheureusement, on veut considérer l’artiste uniquement comme un tronc, afin de l’exploiter momentanément, pratiquement, de façon despotique. Je n’ai confiance en aucune organisation. Je crois seulement en l’homme et en ce qu’il entreprend.

C’est peut-être cela un « homme Underground » ?

- Comment avez-vous conçu est réalisé votre film?

- Avec une curiosité constante, avec imagination, réflexion, silence, joie, humour, hasard, …avec des yaourts comme aliments de base, en dormant à côté de la pellicule, dans l’humidité et dans la chaleur à la fin.

- Comment travaillez-vous?

- En général, je travaille sur une idée…plutôt sur la façon de l’exprimer, je trouve des variations logiques produites par la réflexion et je les applique immédiatement ; mon matériel c’est l’encre, des pinceaux (1) tout élément que je désire introduire à ce moment là. Mais je ne fais pas d’analyse rationnelle a priori. Je préfère expérimenter, toujours et je choisis après. La main sur tout.

Dans mes affiches, les sept cents sont différentes de l’une a l’autre, chacune apporte sa petite variante, et ceci est réalisable avec les machines d’imprimerie, il suffit de le vouloir ainsi. Je peux vous dire que là où je les réalise, tous à l’imprimerie sont heureux, on improvise, on découvre, on crée…

Tout m’intéresse et particulièrement l’état de veille, l’attention constante, le hasard, la liberté.

(1) des brosses, du sable, de l’eau.

(Traduction Michel Maingois)

L’ART VIVANT nº 16

Décembre – Janvier 71